Une question d’« équilibre », par Serge Halimi (Le Monde diplomatique, août 2014)
Éditorial du numéro d'août, actuellement en kiosques.
L’expédition punitive de l’armée israélienne à Gaza a réactivé l’une
des aspirations les plus spontanées du journalisme moderne : le droit à
la paresse. En termes plus professionnels, on appelle cela l’« équilibre ». La chaîne de télévision américaine d’extrême droite Fox News se qualifie ainsi, non sans humour, de « juste et équilibrée » (fair and balanced ).
Dans le cas du conflit au Proche-Orient, où les torts ne sont pas également partagés, l’« équilibre »
revient à oublier qui est la puissance occupante. Mais, pour la plupart
des journalistes occidentaux, c’est aussi un moyen de se protéger du
fanatisme des destinataires d’une information dérangeante en faisant de
celle-ci un point de vue aussitôt contesté. Outre qu’on n’observe pas ce
même biais dans d’autres crises internationales, celle de l’Ukraine par
exemple (lire « Médias français en campagne ukrainienne »),
le véritable équilibre souffre pour deux raisons. D’abord parce que,
entre les images d’un carnage prolongé à Gaza et celles d’une alerte au
tir de roquettes sur une plage de Tel-Aviv, une bonne balance devrait
pencher un peu... Ensuite, parce que certains protagonistes, israéliens
dans le cas d’espèce, disposent de communicants professionnels, tandis
que d’autres n’ont à offrir aux médias occidentaux que le calvaire de
leurs civils.